Dimanche 19 novembre 2017 – 6h30 le réveil sonne. Les yeux collés et la marque des draps imprimée sur la face, on se prépare en vitesse pour ne pas être en retard au rendez-vous. On enfile plusieurs couches comme un oignon pour se protéger du froid matinal de l’automne. On part au ski comme ça ? Non. On va travailler dans les champs…
Tous les « Amapiens » se retrouvent sur le lieu de rendez-vous. On se répartit dans les voitures (covoiturage oblige, on pense à la planète jusqu’au bout) et hop, on file sur l’exploitation des frères Pacifico à quelques kilomètres de la ville de Fréjus.
Arrivés au champ, chacun finit de s’équiper : on enfile des bottes ou des godillots pour marcher dans la terre, on prend ses gants, un seau et c’est parti. Il faut travailler avec méthode : chacun choisi une rangée de maïs puis attrape les épis. Il faut les déshabiller un par un à la main puis coucher le pied de maïs pour signaler qu’il a été « traité » et être sûr de ne pas passer à côté d’un épi. En plus, cela facilite le passage des plantes dans le broyeur en fin de récolte qui fourniront un engrais naturel pour la culture suivante. En bio, on ne jette rien !
Il fait froid au petit matin dans les champs de maïs. Les mains sont engourdies. « Mais quelle idée de se lever à l’aube un dimanche pour travailler dans les champs. » Ben oui, quand on cultive la terre, y’a pas de dimanches ou de jours fériés ma petite dame. On vit au rythme des saisons et de la lumière du soleil. Mais en attendant, ce sont ces paysans qui nourrissent les hommes.
Les frères Pacifico, Antoine et Jean-Marc, cultivent en bio des céréales et des légumineuses. Comme quoi, l’association céréales-légumineuses se fait déjà dans les champs (de quoi ravir tous les végétariens). Du blé bien sûr, sous forme de diverses farines plus ou moins complètes (le type de farine indique la quantité de son qu’elle contient ; plus le chiffre est grand, plus la farine est complète), des lentilles vertes, des pois chiches, du tournesol qu’ils transforment en huile, du sarrasin, du petit épeautre et du maïs qu’ils transforment en semoule à polenta et en farine très fine.
Le maïs des frères Pacifico est récolté à la main car il faut trier les épis et ne pas en oublier dans le champ. Chose qu’une machine n’est pas capable de faire. D’ailleurs on le voit très vite : certains épis restés humides ont commencé à pourrir et d’autres sont ravagés par les insectes. Ca ne fait aucun doute : il s’agit bien d’une culture biologique ! Les pieds de maïs sont également envahis par d’autres plantes : chénopodes, daturas, rumex. Ce qui explique aussi qu’on ne peut récolter à la moissonneuse. Qui plus est, les frères Pacifico sont les seuls à cultiver le maïs dans cette région donc il n’y a personne qui puisse leur prêter une machine pour moissonner deux hectares de champ de maïs… La culture du maïs demande beaucoup d’effort : il faut biner la terre et surveiller l’arrosage surtout en été. On laisse ensuite sécher les pieds de maïs à même le champs pour faciliter la récolte (en particulier l’effeuillage des épis). Les frères Pacifico cultivent une variété du Piémont à 8 rangs (non, pas les rangs des pieds de maïs dans le champ mais les rangs des grains sur l’épi !). Les épis sont d’une couleur extraordinaire allant du jaune orangé au rouge vermeil en passant par l’ambré. Cette variété de maïs est fabuleuse pour la polenta ! Pour perpétuer la culture de cette variété de maïs peu répandue, Antoine et Jean-Marc sélectionnent les plus beaux épis à la main (forme, couleur, défauts). Au total, c’est une vingtaine de kilos qui part en semences. Il faut éliminer les deux extrémités de l’épi pour ne garder que la partie centrale avec les grains les plus homogènes puis terminer l’égrainage à la main. Enfin ils effectuent un dernier tri optique, grain par grain. C’est le prix de la qualité ! Les rendements sont plus faibles en agriculture biologique c’est indéniable. Mais qu’est-ce qu’on sent la différence dans notre assiette ! Et ça, ça vaut bien quelques euros de plus pour 1 kg de farine (et qui vont direct dans la poche du producteur), ainsi qu’une demi-journée de travail dans les champs pour filer un modeste coup de main.
Au bout de quelques heures de travail, le soleil a fait son apparition baignant d’une belle lumière le champ de maïs. Les Amapiens ont commencé à s’effeuiller eux aussi, réchauffés par les rayons du soleil et le labeur. L’atmosphère était joviale et rieuse. Le contact avec la nature détend et vide l’esprit.
Au bout du champ, la récompense ultime : un pique-nique champêtre au sens littéral du terme. On a déployé les draps et les serviettes de plage, et on a cassé la croûte comme on dit. Chez les frères Pacifico, on met les petits plats dans les grands quand on pique-nique au milieu des champs : soupe de légumes au petit épeautre, gâteaux à foison et gelée de coing tout maison, et bien sûr le café à la moka car on n’oublie jamais ses origines italiennes. On a fait sauter les bouchons des bouteilles de vin et décapsulé quelques bières artisanales. On a partagé les victuailles que les uns et les autres avaient confectionnées. Finalement, allongés en T-shirt dans la pelouse, lunettes de soleil sur le nez, en pleine digestion, on aurait dit que l’été n’était pas terminé et le réveil glacé du matin était bien vite oublié.
Comme l’a récemment remarqué Slow Food Italy, une poignée de multinationales a rempli le monde de maïs, de très peu de variétés, hybrides et transgéniques. Un maïs qui ronge la terre, le sol, le paysage, l’eau, l’air et l’Homme. Quand on y réfléchit, la viande que nous consommons est faite de maïs, le lait que nous buvons est fait de maïs, donc le fromage aussi, le sucre contenu dans les gâteaux du goûter, les sauces et les boissons sont faits de maïs (allez donc voir sur Google d’où vient le fameux sirop de glucose), les couverts biodégradables avec lesquels nous mangeons sont faits de maïs, les sacs dans lesquels nous transportons la nourriture sont faits de maïs, le biogaz que nous brûlons est fait de maïs. Le marché mondial a besoin de toujours plus de maïs dans des quantités astronomiques, aux caractéristiques standardisées et à des prix compétitifs. Alors valorisons et soutenons plutôt les petits producteurs comme les frères Pacifico (ou à travers le mouvement Slow Mays) qui continuent à produire et à transformer le maïs de manière traditionnelle, biologique et respectueuse de l’environnement, à sélectionner les semences manuellement et à nous fournir un produit de qualité, local, non standardisé et bon pour la santé.
En tout cas après une aussi belle journée dans les champs de maïs, on est sûr d’une chose : c’est que le travail dans les champs est une activité des plus…pacifiques.
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Super ces photos !!
Merci beaucoup 🙂