Vous reprendrez bien un peu de gluten ?

D’après l’observatoire du pain, 98 % des Français consomment du pain dont 83 % tous les jours. En France, le pain est culturellement et profondément ancré dans notre quotidien. Mais ces dernières années, il est victime de bien des controverses à cause des protéines qu’il contient : le dénommé gluten.

D’où la campagne « Coucou, tu as pris le pain ? » menée par l’Observatoire du pain en 2013 contre la baisse de la fréquence de consommation du pain par les Français.

A en croire les spécialistes, le gluten serait responsable d’un grand nombre des maladies chroniques de notre époque : psoriasis, polyarthrite, intestin irritable, acné, eczéma, migraines… Or, le gluten est partout et aurait désormais envahi 30 % des linéaires de supermarché. On le retrouve dans toutes les variétés de pains, gâteaux, viennoiseries, pâtes mais aussi dans les panures, les plats cuisinés, les produits transformés, les mousses, les glaces, les crèmes, la bière, la sauce soja, les cosmétiques, les aliments pour animaux, et même les rillettes, le jambon, le surimi, le ketchup… Sans parler des « contaminations croisées » dues à l’utilisation de mêmes machines de production pour différents produits.

Le véritable coupable est-il le gluten ou les additifs et autres substances toujours plus nombreuses qui l’accompagnent dans les produits de l’industrie agro-alimentaire ?

Face à ces questionnements et doutes grandissants de la part du consommateur, les industriels et artisans ont répondu en proposant de nouvelles gammes de pains, viennoiseries, gâteaux et autres produits estampillés « gluten free ». Eric Kayser a par exemple fait installer à l’étage de sa boulangerie parisienne du 4 rue de l’Echelle, un espace dédié à la production sans gluten lui permettant de se prémunir de toute contamination croisée et de répondre aux règles drastiques du régime cœliaque.

Fougasses

La maladie cœliaque et la sensibilité au gluten

Le nombre grandissant de personnes se déclarant allergiques au gluten est-il bien réel ou s’agit-il pour partie d’un effet de mode, d’une croyance ? Une chose est sûre, le nombre de personnes ayant adopté un régime exempt de gluten ne cesse d’augmenter. Ce changement de régime alimentaire soudain est-il fondé ? Le gluten endosse à l’heure actuelle la responsabilité de tous les maux modernes dont souffrent nos sociétés occidentales (avec le stress, son grand copain).

Mais le gluten, c’est quoi au juste ? C’est l’association des protéines de certaines céréales (blé, seigle, orge) après réhydratation, en un réseau visco-élastique appelé le réseau glutineux. C’est grâce à lui que les pâtes à pain et autres produits de boulange gonflent joliment au four sans éclater.

Ces protéines sont difficilement découpées par les enzymes du système digestif et se retrouvent intactes chez certaines personnes au niveau de l’intestin grêle. Ces gros fragments non digérés passent au travers des villosités intestinales au lieu d’être éliminés dans les selles et sont, pour des raisons encore inconnues, responsables de la perméabilité de l’intestin et à termes de la destruction de ses villosités. En découle alors une malabsorption de certains nutriments et donc des carences. Le passage de ces macro-molécules dans le sang déclenche des réactions immunitaires avec production d’anti-corps dirigés vers les protéines du gluten et l’intestin grêle chez les personnes prédisposées (facteurs génétiques et environnementaux) : c’est ce que l’on appelle la maladie cœliaque ou intolérance au gluten. Parfois l’intolérance au gluten serait silencieuse, c’est-à-dire sans les symptômes digestifs « habituels » et s’exprimerait au travers d’autres maladies auto-immunes : psoriasis, eczéma, migraines, irritabilité, fatigue chronique, thyroïdite, etc. Mais les études restent encore peu fournies à ce sujet. La maladie cœliaque est détectée et confirmée par un examen sanguin et intestinal.

La sensibilité au gluten (à distinguer de l’intolérance) concerne les personnes non cœliaques (dont les tests sont négatifs) mais pour lesquelles la consommation de gluten provoquerait certains symptômes.

Tarte au sucre

Le blé moderne à la barre des accusés

Les mutations que l’homme a fait subir au blé permettraient d’expliquer la fréquence croissante de cette maladie depuis la Révolution verte (années 50). L’augmentation des maladies de Crohn et cœliaque sont concomitantes à l’apparition des nouveaux blés mutés. Ces blés modernes sont le fruit de rétrocroisements qui ont apporté des modifications génétiques profondes sur les céréales pour en augmenter le rendement et faire face aux problèmes de famines et à l’accroissement de la population mondiale.

Ces modifications du blé par rétrocroisements, l’avènement des OGM (Organismes Génétiquement Modifiés), les traitements chimiques et la sélection des variétés autorisées par l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) ont contribué à changer la nature du blé : des qualités nutritionnelles amoindries et une augmentation de la quantité de gluten dans le grain.

Pour répondre aux exigences toujours plus fortes du consommateur, les boulangers privilégient les farines riches en gluten et donc plus facilement panifiables, au détriment de leurs qualités nutritionnelles. Au lieu d’apprendre à s’adapter aux qualités changeantes des farines dues aux saisons, aux conditions climatiques et aux variétés de blé, l’exigence des boulangers s’est portée sur la stabilité de la qualité des farines, obligeant les moulins à y apporter des corrections et à choisir les variétés de blé selon leurs critères de production.

Aujourd’hui on fait une baguette en 2 ou 3 heures, et je ne vous parle même pas des dépôts de pain qui mettent en cuisson des baguettes industrielles surgelées… Le pain moderne est issu de la culture intensive et bourré d’additifs et d’améliorants nocifs. Au CAP boulangerie, on apprend à utiliser des mix tout prêts de farines et à exécuter une recette mais on ne sait même plus comment démarrer un levain naturel. D’où l’émergence d’une nouvelle génération de boulangers en France qui revendique un pain de fabrication artisanale, aux farines biologiques (comme celle des frères Pacifico de mon AMAP, que j’utilise pour faire mon propre pain au levain chaque semaine) et au levain naturel, respectueuse de l’environnement et de la santé des consommateurs. Un grand nombre de ces boulangers a même décidé de cultiver son propre blé (souvent des variétés de blés anciens) pour maîtriser la filière de bout en bout et s’assurer une qualité de farine optimale pour la fabrication du pain. Il faut réapprendre à prendre le temps de faire les choses, c’est essentiel.

Et il faut surtout que le consommateur soit prêt à payer plus cher pour manger un pain de meilleur qualité et reconnaitre ainsi le dur labeur du véritable artisan boulanger qui se lève à l’aube pour s’atteler à son pétrin et son four à pain. Car c’est avant tout pour satisfaire le consommateur toujours plus exigeant que le boulanger en est arrivé à prendre tous ces raccourcis.

J’ai travaillé pour Gilles Bajolle, chef pâtissier à Rueil-Malmaison. Il m’a expliqué que lorsqu’il gérait sa boulangerie à Sartrouville, il lui fallait 4 jours pour faire du pain : deux jours pour préparer et rafraichir son levain, le troisième jour pour pétrir sa pâte avec une autolyse le matin et une fermentation lente l’après-midi et la nuit, puis une mise en cuisson le quatrième jour au petit matin. Les fermentations lentes permettent le développement des arômes du pain et des qualités panifiables de la pâte. D’après lui, un grand nombre de ses clients sensibles au gluten digéraient son pain sans aucun problème ! En effet, le processus de fermentation de la pâte à pain avec du levain est absolument essentiel car il permet entre autres aux enzymes du levain de pré-digérer le gluten.

Aujourd’hui, rares sont les boulangers qui laissent encore leur pâte fermenter doucement toute la nuit. On privilégie plutôt le pétrissage intensif qui permet de gagner du temps et de sauter des étapes de fermentation, au détriment du goût et de la préservation des nutriments contenus dans le pain. On dope la pâte à la levure, aux additifs et aux améliorants pour « cacher la misère » d’un pain blanc à la mie serrée et peu élastique, au goût de sucre et peu nourrissant, dont l’indice glycémique est franchement élevé par rapport à un pain intégral (contenant la totalité du son, l’enveloppe du grain), un pain au levain ou un pain à base de mouture sur meule de pierre. Or le pain, c’est VI-VANT !! Vous avez déjà pétri une pâte à pain à mains nues ? C’est sensuel, élastique, parfumé. Ca prend forme sous vos paumes ; ça lève doucement sous votre regard. Ça évolue au fil des heures, ça vit. Ça ne peut faire l’objet d’une production standardisée mécanique et chimique. Le résultat final dépend d’une multitude de paramètres : températures de l’air, de l’eau et de la farine, qualité de la levure et/ou du levain, chaleur du four, qualité de la farine, du pétrissage, du façonnage… Il faut la main de l’Homme pour que la magie opère.

Comme le dit si bien la photographe Geneviève Hofman : « Le pain, c’est la rencontre des quatre éléments : l’eau et les céréales de la terre au moment du pétrissage, l’air pendant la fermentation, le feu pour la cuisson. »

C’était mieux avant ?

Combien de personnes ayant supprimé le gluten de leur alimentation entend-on s’exprimer ainsi : « Je me sens beaucoup mieux depuis que j’ai arrêté le gluten. Je vois vraiment la différence. »

Mais ce mieux-être ne serait-il pas finalement dû à une meilleur hygiène de vie, « effet secondaire » de l’adoption d’un régime sans gluten ? On se voit contraint de redoubler de créativité culinaire, de partir à la découverte de nouvelles céréales qu’on ne trouve qu’à l’état complet (quinoa, sarrasin, millet…), d’arriver à satiété en remplissant son estomac de légumes, fruits et crudités au lieu de se bourrer de pain à chaque repas. Terminé les pizza, burgers, sandwiches, viennoiseries, pâtes, gâteaux, ketchup, crèmes, sauces et autres cochonneries industrielles nous menant à l’excès de gras, de sucre, de sel et d’additifs chimiques. Quand on démarre un régime sans gluten, on se rend compte à quel point celui-ci a envahi nos assiettes : il est partout, en excès et se cache sous n’importe quelle forme. Ne serait-ce pas plutôt l’excès (de tout) qui a eu raison de notre paroi intestinale ?

Pain burger

Les populations dont l’alimentation est exempte de gluten depuis des millénaires comme par exemple certaines régions d’Afrique où la population consomme beaucoup de teff, manioc et banane plantin, ou encore l’Asie avec le riz, sont beaucoup moins touchées par « l’épidémie » d’intolérance au gluten. Cela pourrait montrer que le mode de vie contemporain est un facteur non négligeable de l’augmentation des intolérances : l’utilisation abusive des antibiotiques, l’excès de gras, de sucre et de sel, de produits transformés et raffinés, le stress quotidien, les quantités insuffisantes de végétaux dans nos assiettes, les repas avalés en 20 minutes et devant un écran. Tout ceci pourrait bien être la cause des perturbations de notre système immunitaire et de notre flore intestinale, générant des réponses inflammatoires indésirables. Le nombre de mastications par repas a fortement diminué, et donc la production de salive également. Or, c’est dans la salive que se trouvent les amylases, premières enzymes intervenant dans la digestion de l’amidon des féculents.

Nous sommes en train de diaboliser le gluten et le pain dans sa globalité. Mais il faut distinguer le bon grain de l’ivraie : le pain blanc du pain intégral, le gluten issu d’une pâte fermentée lentement du gluten issu d’une farine raffinée non « travaillée ». Le pain bio est souvent complet quand il n’est pas intégral, dénué d’additifs, améliorants et pesticides, panifié au levain pour une plus grande digestibilité et à partir de farines de blés anciens qui contiennent moins de gluten.

La recherche de l’équilibre et d’une cuisine alternative

Le leitmotiv de la bonne alimentation n’est il pas de manger varié, de tout et sans excès ? Alors commençons déjà par réduire notre consommation de gluten tout simplement par la réintroduction d’autres féculents comme le riz, les légumineuses (haricots, pois cassés, lentilles, pois chiches, fèves, soja), les céréales complètes et oubliées (sarrasin, millet, quinoa, amarante) mais aussi les tubercules. N’oublions pas notre chère pomme de terre, le topinambour, la patate douce. Plus exotiques et beaucoup moins connus, le sorgho, le fonio, le teff, le manioc, le taro et l’igname sont des aliments nourrissants et sans gluten mais dont l’empreinte carbone risque de vous placer face à un dilemme entre la santé de la planète et votre propre santé.

céréales complètes variées avec et sans gluten

Il est très important également de continuer à se faire plaisir : un repas sans gluten doit rester un repas plaisir. La cuisine vietnamienne par exemple est majoritairement exempte de gluten car à base de riz qu’il soit en grain, sous forme de farine ou de nouilles, et de soja sous diverses formes également (vermicelles, purée, sauce, germes). Pourtant, un repas vietnamien est un véritable voyage sensoriel et un délice pour les papilles.

Il ne faut donc pas hésiter à aller voir du côté des traditions et dans les cuisines du monde pour trouver des plats roboratifs, gourmands et sans gluten. Le hachis parmentier français, le cassoulet toulousain, le bibimbap coréen, les sushi japonais, le cassava cake philippin, les dosa et le dal indiens, les banh cuon vietnamiens, les galettes bretonnes, les tacos mexicains, la choucroute alsacienne, le moules-frites belge, la brandade portugaise , la paëlla espagnole, sont autant de plats délicieux et traditionnels qui ne contiennent pas de gluten.

Banh cuon crêpes vietnamiennes naturellement sans gluten

Le problème survient plutôt dans la recherche de la substitution du gluten là où il est l’élément clé d’un produit. Le gluten renforce la pâte des produits de boulange et constitue une structure solide et élastique permettant notamment le gonflement des produits : pâte à choux, viennoiserie, pain… Pour pallier l’absence de gluten, on est donc forcé d’ajouter tout un tas d’additifs et d’éléments chimiques pour obtenir des produits similaires qui ne sont pas forcément meilleurs pour la santé en définitive. En témoigne, l’enquête de 60 millions de consommateurs, sortie en février 2016. On chasse donc un problème par un autre problème.

Je ne pense pas que chercher à substituer les propriétés physico-chimiques du gluten pour le remplacer dans les produits qui en contiennent par essence, et pour que les intolérants continuent à manger « pareil » soit une solution. Bien sûr que la maladie cœliaque et toutes les allergies alimentaires sont particulièrement difficiles à vivre d’un point de vue social. Mais ce sentiment d’exclusion ne sera pas effacé par le fait de pouvoir continuer à manger du pain car il n’en demeure pas moins que ce pain devra être estampillé « sans gluten ». Il sera donc toujours différent et spécial. Le pain sans gluten n’est pas un pain « normal ». Dans un repas de famille, il y aura le pain normal et le « pain sans gluten du malade », ou bien « le plat de pâtes sans gluten pour le malade ». Alors que si vous cuisinez un hachis parmentier, ce plat unique sera partagé par tous les convives sans distinction, sans mention particulière pour le « malade ».

Je pense qu’on ne peut pas supprimer le gluten de son alimentation et penser pouvoir continuer à manger de la même manière, sans se priver, sans faire de sacrifices et sans avoir à faire d’efforts. Il est vrai que ce changement est d’autant plus difficile dans des sociétés comme les nôtres où le blé est au cœur de nos traditions culinaires. Mais c’est là qu’il faut faire preuve d’un peu de créativité et de curiosité. On pourra par exemple utiliser de la fécule de maïs ou de pomme de terre pour épaissir une sauce ou pour préparer le roux d’une béchamel plutôt que de la farine de blé. On pourra très facilement réaliser une pâte sablée ou brisée à partir d’autres farines comme la farine de riz puisque que celles-ci doivent justement être croustillantes et non pas élastiques. On cherche d’ailleurs à éviter la formation du réseau glutineux en sablant le beurre avec la farine pour faire une pâte sablée ou brisée. Cela permet d’isoler les protéines du blé avec la matière grasse et de les empêcher de former le gluten au moment de l’ajout d’un ingrédient humide (eau, oeuf, lait). Mais on ne peut en toute logique chercher par exemple à faire du pain de campagne ou des chouquettes sans gluten. Pour moi, c’est un non-sens absolu.

Chouquettes Jojo & Co

Je pense qu’il faut éviter de consommer les produits sans gluten qui cherchent à s’en rapprocher et prétendent « imiter » l’existant. Selon les cas, on peut soit diminuer sa consommation de gluten soit le supprimer complètement de son alimentation, mais surtout apprendre à manger différemment plutôt que de partir à la recherche de la meilleure baguette sans gluten qui aura les mêmes propriétés organoleptiques et nutrionnelles qu’une baguette normale. La recette d’une baguette est à base de farine de blé, point final. Ce qui donne à la baguette son goût, sa forme et sa couleur, c’est entre autres choses le blé et son gluten. Mais tout comme le sushi est à base de riz et rien d’autres, ou le cassoulet à base de haricots. Personne n’a jamais tenté de faire des sushi de quinoa…

On ne le dira jamais assez, adoptons un régime alimentaire varié et équilibré ; privilégions le fait-maison et les produits le moins transformés possible, naturels et/ou issus de l’agriculture biologique. Explorons les infinies possibilités gustatives et culinaires offertes par la nature et des millénaires de civilisation. La vie nous semblera alors plus simple et tellement plus riche d’expériences et de sensations.

Quelques recettes « naturellement » sans gluten :

Un commentaire sur la recette “Vous reprendrez bien un peu de gluten ?

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